Retouche or not retouche ?
- Olivier Duval-Desnoës
- 28 sept. 2024
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 15 oct. 2024
Je ne peux pas passer dix minutes à discuter photo sans que la "retouche" s'impose comme le sujet majeur. "Tu retouches tes photos, toi, ou elles sont pas trafiquées ?" ou à l'inverse : "De toute façon peu importe comment on est sur les photos tout repasse par Photoshop maintenant." voire plus fort encore "T'as même pas besoin de prendre les photos, l'IA peut les faire pour toi !".
Oui, bon.
On va éviter de pousser le bouchon un peu trop loin, Maurice.
Attention, pavé, mais instructif, j'espère. Et je pourrai rediriger sur cet article au besoin pour économiser de la salive à l'avenir ;).
D'abord, des considérations générales. Et même, historiques tiens pour faire mon pédant.
Autrefois - aujourd'hui encore pour certains allumés dont j'aimerais faire partie si je n'avais que ça à faire ! - on faisait toutes ses photos ainsi :
achat d'une pellicule au marchand (en choisissant la référence selon le rendu souhaité, monochrome avec plus ou moins de grain, grain plus ou moins anguleux, contraste plus ou moins marqué, en couleur, tons chair plus ou moins naturels, ...) ;
introduction dans la boîte, puis 37 déclenchements en 24*36 (y'en a toujours en rab !) ;
post-traitement (OK c'était pas le terme le plus employé à la grande époque de l'argentique, ça va hein !).

Ce qui consiste en :
développement du rouleau de film dans de la chimie (on peut choisir un temps plus ou moins long ou une température plus ou moins élevée pour plus ou moins corriger l'exposition quitte, en polychrome, à faire varier l'équilibre des couleurs) ;
séchage ;
tirage sur papier (choix du papier en fonction du contraste et du grain souhaité notamment) pendant un temps que l'on détermine (en tirage d'art) après des tirages tests ; on décide pendant ces tirages tests de recadrer raisonnablement, faire pivoter légèrement l'image, assombrir des zones trop claires par masquage du flux lumineux avec des petits caches conçus au besoin pour chaque photo ; en couleur, on joue sur l'importance relative de 3 filtres de couleur pour régler la "balance des blancs" (anachronisme ?) et avoir le rendu colorimétrique souhaité ; et moult autres techniques de "retouche" que je ne maîtrise malheureusement pas assez pour en parler ... ;
éventuellement pour les tirages monochromes des "virages" à base de solutions d'or, de palladium, ... permettent d'obtenir une teinte différente. Là encore, je ne me permettrai pas de développer - jeu de mots ! ahahah.
C'est long c'est long c'est vrai mais j'arrive au bout de la démonstration : en argentique, quand on fait bien son boulot, on joue avant et après la prise de vue, sur : l'exposition, le contraste, la tonalité des hautes et des basses lumières, la balance des blancs, le grain, le cadrage, l'horizontalité, et même la suppression des légers éléments indésirables directement sur le négatif pour un tirage impeccable. Un vrai travail d'artisan et même d'équipe car peu, très peu de photographes développent et surtout tirent eux-mêmes leurs clichés. La corporation des tireurs fait partie de l'histoire ancienne mais c'est un métier à part entière !

Parlons numérique maintenant :
on prend son appareil ;
on prend ses 3 000 photos - que les minimalistes me jettent la première pierre, la pellicule est gratuite ! ou du moins la carte mémoire est réinscriptible ;
on charge ses photos dans l'ordinateur ;
et on devrait s'arrêter là pour ne pas trafiquer les photos tout en se privant de tous les outils technologiques permis dès les premiers temps de l'argentique ? ce serait absurde d'imprimer des clichés dont le contraste, la luminosité, les couleurs n'ont pas été optimisés pour coller à l'intention du photographe en prolongeant ses réglages du déclenchement !
C'est pourquoi on distingue usuellement le post-traitement (ou développement !) pour les légères corrections mimant ce que l'argentique permettait déjà de réaliser en routine, et la retouche ou manipulation de l'image, trucage (les photomontages ne datent pas du numérique non plus cela dit mais c'est un autre sujet) ou tricherie si vous voulez, pour ce qui nécessite Photoshop : incrustation d'images, effacement d'éléments significatifs de la photo, lissage de la peau, diminution des bourrelets, ... Certains photographes réalisent un travail poussé de retouche sur chaque cliché, d'autres un travail plus léger, d'autres seulement sur certains clichés, d'autres quasiment jamais.
Mais aucun professionnel ne s'affranchit de la première étape, celle du développement. Parce qu'une photo sortie de l'appareil n'est même pas une image, c'est juste une matrice (un tableau) de nombres codant des niveaux de rouge, de vert, de bleu à chaque pixel. Matrice que les logiciels de dématriçage et de développement interprètent tous différemment, sortant un aperçu perfectible sur écran. Qu'il serait dommage de se priver de finaliser ; il n'est pas question évidemment de changer l'intention photographique initiale mais de la parfaire. Il n'est pas non plus possible de compter sur un post-traitement poussé pour corriger des réglages défaillants à la prise de vue, car la qualité ne serait pas au rendez-vous. Mince, il faut encore savoir maîtriser son appareil ! ;)
Et moi me direz-vous ? eh bien je développe 100 % de mes clichés, mais, au moment où j'écris ces lignes, je n'en retouche aucun. N'en ayant pas envie, et rarement besoin, je n'ai même aucune connaissance pratique de l'usage de Photoshop, et pas le goût de m'y mettre !
Donc rien n'est "truqué" car rien n'est modifié en profondeur après la prise de vues.
Mais tout est "truqué", car je n'imprime rien sans passer par les vérifications et légères corrections qui s'imposent.

Ah, une dernière précision : les amateurs vont me rétorquer qu'eux ne développent pas leurs photos, qu'ils importent sur ordinateur sans logiciel de dématriçage / développement, et qu'elles sont très bien comme ça (ou pas, d'ailleurs, nombre d'amateurs ne comprennent pas ce qui les déçoit dans leurs clichés parfois). Je répondrai qu'en effet eux ne le font pas mais laissent à leur appareil le soin de le faire de façon statistique, sans prendre en compte l'intention du photographe. Luminosité moyenne, contraste moyen, balance des blancs moyenne, ... sont inévitables à l'arrivée. Aucun style, aucune patte, aucune personnalité !
Bref je m'arrête parce que je n'ai fait qu'effleurer le sujet en étant déjà bien trop long ... Mais je suis ouvert pour en discuter !
Commentaires