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De l’absurdité de travailler la photographie argentique de nos jours – partie 2

Parlons grain argentique, ensuite.


Voilà une véritable caractéristique de la photographie argentique qui fait son charme, ou sa limite, selon le cas ou selon les goûts. Chaque pellicule a son type de grain : en noir et blanc classique, le grain est constitué de cristaux d’argent métallique ; il est donc anguleux, plus ou moins selon la référence du film.


Allanche by night : l'église fortifiée ; photo argentique noir et blanc
Cliché noir et blanc pris au moyen format (Mamiya RB67) dans son ensemble
Détail du clocher faisant apparaître le grain, bien visible ici.
Détail du clocher faisant apparaître le grain, bien visible ici.

En couleur, il s’agit de petits « nuages » de colorants ; c’est donc beaucoup plus doux ; il existe même des pellicules noir et blanc fonctionnant sur le même principe, avec de petits nuages de colorant noir, pour les utilisateurs qui préfèrent cette esthétique.


Chaque pellicule a sa taille de grain : une pellicule peu sensible (50 à 100 ISO) a en général un grain très fin, à peine perceptible ; ce grain apporte très peu de perte de définition au négatif ; en revanche les pellicules hautement sensibles (800 à 3200 ISO) ont toujours un grain marqué parfois gênant.


6 microphotographies d'émulsions photographiques avec différents types de grains d'argent
Différents types de grain d'argent (R.J. Wallace, 1904)

Une sous-exposition, corrigée au développement, majore également la taille et la visibilité du grain – ce peut être un effet recherché.


Photo très peu définie car extrêmement granuleuse.
A l'extrême, le grain peut dégrader la qualité de l'image (pellicule très sensible, périmée, développement poussé)

Notons enfin que le grain est bien plus évident sur un grand tirage que sur un tirage 10 x 15 cm, et sur une pellicule 24 x 36 que sur une pellicule moyen format (6 x 9 cm par exemple) où il peut passer presqu’inaperçu !


Le grain est formé par la cristallisation métallique des ions d'argent Ag+ contenus dans l'émulsion photographique de la pellicule (ou du plan film ou de la plaque ou de tout autre support photosensible d'ailleurs) après excitation par la lumière pendant l'exposition, et révélation au développement. On utilise un bain d'arrêt puis un fixateur après la révélation pour que ne soient transformés en argent métallique opaque que les ions Ag+ exposés à la lumière.


Le numérique, lui, par construction, ne produit pas de grain. Sa surface photosensible n'étant pas une émulsion d'halogénures d'argent mais un capteur photoélectrique produisant, photosite par photosite (la structure élémentaire du capteur) un courant électrique lors de stimulation lumineuse). En montant en sensibilité pour faire face à un manque de lumière, on voit apparaître un véritable défaut, le « bruit numérique », qui est, comme le grain argentique, responsable d’une perte de netteté de l’image (de son piqué), et est également favorisé par une sous-exposition corrigée au post-traitement. Il s’agit ici d’une pollution de la photo (visible en zoomant suffisamment dans l’image) par des pixels de luminosité ou de couleur aléatoire répartis sur toute sa surface. Contrairement au grain argentique, personne à ma connaissance ne trouve jamais aucun charme au bruit numérique ! de même qu’on peut aimer la chaleur des petits crépitements d’un disque vinyle, mais que personne ne préfère écouter une radio qu’on capte mal …


Une image très bruitée d'un chat hospitalisé en clinique vétérinaire qui regarde son voisin endormi.
Une image très bruitée ; le monochrome permet de diminuer la pregnance du bruit mais persiste un faible piqué.

Détail de l'image ci-dessus, zoomée au-delà de 100 %. Le bruit numérique est responsable d'une perte de définition.
Détail de l'image ci-dessus, zoomée au-delà de 100 %. Le bruit numérique est responsable d'une perte de définition.

En résumé, le grain altère les détails de l’image sans normalement nuire à son impression de qualité ; il bénéficie à certains clichés et pas à d’autres, fait partie de l’ADN de certains travaux photographiques quand d’autres s’en moquent ou le fuient. Il s'agit là d'une pure question de goût !


On peut d’ailleurs le recréer en post-traitement numérique – même si les émulations actuelles sont encore peu convaincantes.


D'autres "défauts" ou particularités de l'argentique sont recherchés parfois : l'utilisation de pellicules monochromes sensibles à l'infrarouge avec un filtre sur l'objectif ne laissant passer que la lumière infrarouge, qui crée des contrastes surnaturels en paysage, par exemple. Ceci existe en numérique mais nécessite de défiltrer un appareil qui ne sera donc ensuite dédié qu'à la photo infrarouge, ce qui représente un autre investissement ...


Photo infrarouge en pellicule Ilford SFX 200 avec filtre infrarouge 720 nm
Non pas de neige ni de givre ici mais un soleil de plomb sur un feuillage bien vert, un pré bien vert et un buron ruiné.

Ou encore, l'utilisation de pellicules non munies d'une couche anti halo, où les lumières ponctuelles (éclairages urbains, enseignes lumineuses, ...) "bavent". Elles donnent aux photos urbaines de nuit, aux scènes du métro parisien ou des rues tokyoïtes par exemple, un cachet inimitable.


Photo à la pellicule Cinestill 800T qui laisse "baver" un halo autour des zones lumineuses.
Monsieur prend la pose sous la divine lumière qui filtre par un vitrail de la mosquée cathédrale de Cordoue.

La suite au prochain épisode !

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